A TORT ET A RAISON – Théâtre Hébertot

A TORT ET A RAISON – Théâtre Hébertot

« Vous aimez Beethoven ? … Ah c’est bien ce que je pensais … ».
A tort et A raison
A tort et A raison
Parce que lui n’aime pas Beethoven. En fait, il ne connait rien à la musique. Commercial dans les polices d’assurance dans le civil, il est bien loin de l’univers  culturel de celui qu’il va devoir interroger.
C’est pour cette raison qu’on lui a confié cette mission. Pas d’affect, aucune trace de vénération artistique envers la personne qu’il doit interroger : le grand chef d’orchestre allemand Wilhelm Furtwängler.
Lui, c’est le Commandant américain Steve Arnold (joué par le convaincant Francis Lombrail)
 
Nous sommes en 1946, l’Allemagne commence sa « dénazification ». Le commandant revient du front de l’est où il a participé à la libération des camps. Cette épreuve l’a bouleversé. Pour lui, désormais, tous les allemands sont coupables. Coupables de n’avoir rien vu, rien fait, et pour ceux qui le pouvaient, coupables de n’être pas partis.
 
Wilhelm Furtwängler, justement, est resté. Il a passivement servi le régime, sans zèle mais sans rébellion. Il a même dirigé l’Orchestre Philharmonique de Berlin en 1942 pour l’anniversaire d’Adolf Hitler. Est-il coupable ? Mais si oui, de quoi est-il coupable ?
 
Michel Bouquet prête sa voix vieillissante au chef d’orchestre qui jette ses dernières ressources dans sa défense. L’art et la musique passent au-dessus de tout. Voilà son credo. « L’art n’a rien à voir avec la politique. J’ai voulu garder intacte cette lumière, pour qu’elle renaisse quand le cauchemar serait terminé » dit Furtwängler.
 
Pendant deux heures, les deux hommes se livrent à un combat âpre, sans que l’on parvienne à trancher : qui à tort et qui a raison ? Comme dans « Collaboration » qui mettait en scène l’amitié, entachée par la guerre, de Richard Strauss et de Stefan Zwieg, l’auteur Ronald Harwood s’interroge de nouveau sur le comportement des artistes pendant la période nazie. Fallait-il fuir ou poursuivre coûte que coûte sa mission supérieure, celle de célébrer l’art ? Lorsque l’art devient un « art officiel », au service de la politique, ne s’égare-t-il pas dans les ténèbres ?
 
Pour son enquête, le Commandant américain est assisté d’un jeune homme et d’une jeune femme. Tous les deux aiment Beethoven, tous les deux aiment la musique, tous les deux admirent le chef d’orchestre Wilhelm Furtwängler.
Et pourtant …
Lui, le jeune juif allemand, dont les parents sont morts à Auschwitz, qui est désormais militaire américain.
Elle, la jeune allemande, fille d’un célèbre opposant à Hitler.
En somme, ceux qui sont les plus proches du drame sont ici les plus indulgents.
 
Cette répartition cousue de fil blanc des rôles est un peu trop lisible.
Il manque peut-être au texte une certaine subtilité pour paraître vraiment crédible.
On comprend trop vite les enjeux et le déroulement de la pièce ne nous en apprend guère plus.
 
Mais le théâtre a cela de particulier que la magie se niche parfois dans des pièces imparfaites.
On est pris par la force du spectacle et des acteurs qui se livrent, on applaudit, on se lève …
 
C’est ce que je retiendrai de cette pièce que je vous invite à aller voir ne serait-ce que pour le plaisir de voir un des plus grands acteurs français de notre époque sur scène. Et ceux qui lui donnent la réplique sont tout particulièrement à la hauteur !
 
Théâtre Hebertot 78bis Boulevard des Batignolles, 75017 Paris
 
critique écrite à deux mains avec C lui

Le père – théâtre Hebertot

Le père

De FLORIAN ZELLER

avec ROBERT HIRSCH, ISABELLE GELINAS, BERNARD YERLES, ERIC BOUCHER, MARIE PAROUTY et NOEMIE ELBAZ

Le père

Le thème peut faire peur : la vieillesse, la perte des repères, la perte de la mémoire, le spectre terrible de la maladie d’Alzheimer, et la question de conscience d’une fille qui s’inquiète, qui hésite, qui souffre, avant de se résoudre finalement à la « seule décision raisonnable ». Le traitement du sujet par Florian Zeller peut aussi dérouter. Que regardons nous ? A travers le regard de qui observons-nous ce qui se trame ? Les personnages sont-ils réels ou rêvés ? Disent-ils la vérité ? mais au fond qu’est-ce que la vérité ? et pour qui ? On nage dans une sorte de malaise, on navigue dans les eaux troubles de la mémoire d’un homme qui se dissipe peu à peu. On ne sait plus vraiment si les acteurs jouent plusieurs rôles différents, ou si au contraire plusieurs acteurs jouent le même rôle. Certains vivants parlent des disparus, d’autres ressemblent aux disparus. La réalité est multiforme.

Pourtant, a aucun moment la pièce ne tombe dans le pathétique, ou dans le simplisme. C’est humain, donc complexe. Il faut accepter de pénétrer dans le labyrinthe des humeurs, des angoisses et des passions tristes. Le père ressemble de moins en moins à l’image du père. Comme un enfant, il demande une berceuse pour s’endormir ; comme un enfant, il s’agite, il fait des caprices, il est méchant par moment. On l’aime et on le déteste. Il est touchant et insupportable. On se laisse prendre à regarder le monde à travers son esprit divaguant, et puis on a envie de s’en extraire. Les sentiments de la fille ne sont pas forcément plus lisibles. Elle parait encore plus perdue que son père, alors qu’elle possède toutes les facultés qui chez lui disparaissent. Lui a des certitudes imaginaires, elle a des doutes réels.

Le texte de Florian Zeller est fait de petites touches, comme du pointillisme, pour nous amener à changer d’angle d’observation, à nous frayer un chemin dans le questionnement qui émanent de ces scènes de vie banales et tragiques à la fois. La mise en scène est limpide, les décors et les ponctuations musicales donnent du relief au texte. Les objets s’en viennent et s’en vont, le décor se modifie comme dans le théâtre des rêves du père. Tous les acteurs sont justes, ce qui n’est pas la moindre des prouesses, tant il ne suffisait pas pour eux d’incarner un personnage, mais de projeter aussi sur la scène la vision de leur personnage par l’esprit du vieil homme. Isabelle Gélinas est parfaite dans son rôle de fille à l’instinct maternel, pleine de dévouement.

Et puis il y a Robert Hirsch. Magnifique. Un virtuose qui nous étale avec brio toute la palette des émotions. Ce n’est que lorsque le rideau se baisse à la fin de la pièce, et qu’il réapparait ensuite pour saluer la salle, qu’on devine enfin la fatigue, qu’on mesure la prouesse, que l’on admire un acteur de 84 ans, un grand acteur, heureux d’avoir joué encore une fois. Ce n’est pas le moment le moins émouvant de cette soirée!

Rédacteur : CLui

Théâtre Hebertot

78 bis boulevard des Batignolles, 75017 Paris