Le père
De FLORIAN ZELLER
avec ROBERT HIRSCH, ISABELLE GELINAS, BERNARD YERLES, ERIC BOUCHER, MARIE PAROUTY et NOEMIE ELBAZ
Le thème peut faire peur : la vieillesse, la perte des repères, la perte de la mémoire, le spectre terrible de la maladie d’Alzheimer, et la question de conscience d’une fille qui s’inquiète, qui hésite, qui souffre, avant de se résoudre finalement à la « seule décision raisonnable ». Le traitement du sujet par Florian Zeller peut aussi dérouter. Que regardons nous ? A travers le regard de qui observons-nous ce qui se trame ? Les personnages sont-ils réels ou rêvés ? Disent-ils la vérité ? mais au fond qu’est-ce que la vérité ? et pour qui ? On nage dans une sorte de malaise, on navigue dans les eaux troubles de la mémoire d’un homme qui se dissipe peu à peu. On ne sait plus vraiment si les acteurs jouent plusieurs rôles différents, ou si au contraire plusieurs acteurs jouent le même rôle. Certains vivants parlent des disparus, d’autres ressemblent aux disparus. La réalité est multiforme.
Pourtant, a aucun moment la pièce ne tombe dans le pathétique, ou dans le simplisme. C’est humain, donc complexe. Il faut accepter de pénétrer dans le labyrinthe des humeurs, des angoisses et des passions tristes. Le père ressemble de moins en moins à l’image du père. Comme un enfant, il demande une berceuse pour s’endormir ; comme un enfant, il s’agite, il fait des caprices, il est méchant par moment. On l’aime et on le déteste. Il est touchant et insupportable. On se laisse prendre à regarder le monde à travers son esprit divaguant, et puis on a envie de s’en extraire. Les sentiments de la fille ne sont pas forcément plus lisibles. Elle parait encore plus perdue que son père, alors qu’elle possède toutes les facultés qui chez lui disparaissent. Lui a des certitudes imaginaires, elle a des doutes réels.
Le texte de Florian Zeller est fait de petites touches, comme du pointillisme, pour nous amener à changer d’angle d’observation, à nous frayer un chemin dans le questionnement qui émanent de ces scènes de vie banales et tragiques à la fois. La mise en scène est limpide, les décors et les ponctuations musicales donnent du relief au texte. Les objets s’en viennent et s’en vont, le décor se modifie comme dans le théâtre des rêves du père. Tous les acteurs sont justes, ce qui n’est pas la moindre des prouesses, tant il ne suffisait pas pour eux d’incarner un personnage, mais de projeter aussi sur la scène la vision de leur personnage par l’esprit du vieil homme. Isabelle Gélinas est parfaite dans son rôle de fille à l’instinct maternel, pleine de dévouement.
Et puis il y a Robert Hirsch. Magnifique. Un virtuose qui nous étale avec brio toute la palette des émotions. Ce n’est que lorsque le rideau se baisse à la fin de la pièce, et qu’il réapparait ensuite pour saluer la salle, qu’on devine enfin la fatigue, qu’on mesure la prouesse, que l’on admire un acteur de 84 ans, un grand acteur, heureux d’avoir joué encore une fois. Ce n’est pas le moment le moins émouvant de cette soirée!
Rédacteur : CLui
Théâtre Hebertot
78 bis boulevard des Batignolles, 75017 Paris